TITRE : Des ombres plein le coeur suite de Héroines.
AUTEUR : June87
FEEDBACK : june87@caramail.com
SPOILERS : Saison 7.
RATING : PG-13
DISCLAIMER : Faith, Buffy et tous les autres personnages appartiennent à Joss Whedon, WB, etc.
RESUME : Chacune porte en elle ses propres ombres... ombre défunte quand on voudrait aimer à nouveau, ombre qui vous engloutit quand vous tentez de gagner la lumière, l'ombre d'un amour pour un être à la frontière entre vie et mort. Willow, Jess, Buffy. Quand les ombres viennent se mêler de votre vie, pourrez-vous leur résister ?

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PARTIE 1

Buffy resserra sa veste en cuir autour d’elle. Avec la nuit, le froid commençait à tomber. Le froid… encore. On en revenait toujours à lui, mais c’était assez logique pour quelqu’un dont la fonction principale s’exerçait sous la lumière des étoiles.

La Tueuse jeta un coup d’œil à la jeune femme brune qui marchait à ses côtés, agrippée à un pieu comme à une bouée de sauvetage. Faith. La jeune femme qu’elle aimait, la femme qu’elle devait aimer… Buffy rejeta le doute loin d’elle. Ce sentiment désagréable, insaisissable, source d’un malaise inexplicable. Il fut un temps où elle avait été autre, il y a longtemps, si longtemps… Elle recherchait alors la chaleur des hommes avec fièvre, elle est différente…

Et pourtant, qu’est-ce qui avait changé en elle ? Rien. Elle était la même. Quand elle songeait à Willow et Tara, à ce que les deux femmes avait partagé… cette relation si tendre, cet amour si vrai… Etait-ce le même amour entre elle et Faith ? Non, bien sûr, elles elles étaient des Tueuses, enfin c’est ce qu’elles se disaient pour simplifier les choses. Ne pas réfléchir à tout ça. S’abandonner aux passions du moment, et après… ? Après lui paraissait bien trop loin, presque inaccessible… elle n’avait jamais su se projeter vers l’avenir de toute façon, ça devait être la conséquence logique d’être destinée à mourir jeune.

Faith mit sa main dans celle de Buffy, presque sans la regarder, comme gênée par ce geste d’affection que son esprit réclamait si fort. Surprise un instant, la Tueuse blonde n’en laissa rien paraître, et serra en retour cette main qui acceptait de partager sa détresse.

Depuis plusieurs jours déjà, Faith passait ses journées avec Jess, tentant de la désintoxiquer, de lui apprendre à se battre, de la… sauver. L’adolescente soufflait le chaud et le froid, tantôt jurant qu’elle voulait changer et tantôt esquivant, réfractaire, toutes les tentatives d’approche de Faith. La vérité était qu’elle semblait se jouer de tout et ne comptait en rien devenir une véritable Potentielle, enfin du point de vue de Buffy en tout cas.

Toujours était-il que depuis deux jours elle n’avait pas pris une dose d’héro. Bourrée de médicaments de substitution par Faith, elle était allongée dans la chambre du motel de celle-ci et souffrait apparemment énormément.

Buffy, voyant que Faith n’avait pas dormi depuis des jours et n’avait pas quitté Jess d’une semelle (vivant avec elle au motel 24h/24), l’avait obligée à sortir pour prendre un peu l’air. Et voilà qu’elles marchaient, main dans la main, dans les rues glacées de Sunnydale, la Tueuse blonde, à l’air fragile et pourtant déterminée, la Tueuse brune, à l’air fort et pourtant brisée.

Buffy comprit alors ce qu’elle savait déjà depuis le début : elle et Faith ne partageaient pas un amour à la Willow et Tara, elles n’avaient pas brusquement viré de tendance sexuelle, non, elles étaient en fait comme deux petites sœurs jumelles qui se lovaient l’une contre l’autre dans le noir en attendant qu’on vienne leur rallumer la lumière. Comme deux petites filles qui se tenaient la main sur le chemin de la vie, le temps d’être prêtes à se laisser s’envoler l’une l’autre. Buffy sentit avec une pointe de regret qu’elles n’entretiendraient sans doute jamais de relations simples, stables, de relation de couple. Ce n’était sûrement pas leur voie… mais jamais non plus elles ne s’abandonneraient, elles étaient liées, idée qu’avait tant rejetée Buffy à une époque et qui maintenant la réconfortait terriblement et lui donnait envie d’affronter la vie. Elle n’était plus seule, ne le serait jamais plus vraiment.

La blonde conduisit sa compagne vers Revelo Drive, Faith avait besoin de voir du monde pour se changer les idées. Elles arrivèrent devant la maison, et trouvèrent le rez-de-chaussée dans une agitation fébrile, inhabituelle à cette heure tardive… enfin relativement inhabituelle étant donné la présence des Potentielles. Giles s’avança vers les deux jeunes femmes, essuyant ses lunettes avec un air visiblement dépassé.

Giles : "Buffy ! Faith… vous êtes rentrées… c’est un peu… agité ici."

Buffy : "Je vois ça ! Alors… prêt à partir ?"

Giles : "Dois-je vraiment répondre à cette question ?"

Dawn passa devant eux en coup de vent.

Dawn : "Salut Faith ! Ce n’est que deux jours, Giles, on a déjà survécu plus longtemps sans vous… sans vouloir vous vexer ! [Elle sortit par la porte d’entrée] Sus, tu as oublié ton carnet ! Giles a dit que je pouvais te frapper…"

Buffy (levant un sourcil en regardant l’Observateur) : "?"

Giles : "Avec un peu de chance elles vont s’entretuer avant de partir… je ne suis pas sûr que le désert soit assez grand pour elles…"

Buffy (faussement outrée) : "Giles !"

Giles : "Je ne suis plus tellement convaincu du bien fondé de cette retraite dans le désert… et je m’en veux de vous laisser encore seules… avec les choses qui se compliquent autant ici…"

Buffy : "Mais vous devez y aller. Ce voyage est important pour que les filles comprennent la source de leur pouvoir. Et pour qu’elles apprennent à l’utiliser."

Faith : "Ouais… maman Tueuse rasta est vraiment mythique…"

Buffy (boudeuse) : "Heu… personnellement je ne l’aime pas beaucoup, elle a trop tendance à prédire ma mort… ou à dire des choses déprimantes sur mon pouvoir !"

Faith : "Vaut mieux que je ne la rencontre pas alors, hein ?"

Buffy : "C’est vrai que tu ne l’as jamais vue… tu ne veux pas partir avec les filles et Giles ?"

Faith : "Méditation, marshmallow et énigmes… très peu pour moi, merci !"

Giles : "Marshmallow, hein ? Je suis maudit…"

Faith : "Et puis je l’ai aperçue une fois…"

Buffy et Giles : "Quoi ?!!"

Faith (indifférente) : "Une transe quand le Premier me retenait en otage… mais c’était assez flou…"

Buffy : "Pourquoi tu ne m’en as jamais parlé ?"

Faith : "J’avais oublié… Ecoute, B, je dois vraiment partir là… je ne peux pas laisser Jess plus longtemps…"

Giles : "Comment va-t-elle au fait ?"

Faith : "C’est gentil de vous en soucier, Rupert… elle va… aussi bien qu’une fille qui tente de se désintoxiquer… j’ai connu ça vous savez, c’est un peu… comme l’enfer."

Ses yeux s’assombrirent.

Buffy : "Hum… bien, si tu veux y aller, vas-y… tu ne penses pas que Jess pourra aller dans le désert ?"

Faith : "J’en sais rien B, je vais lui en parler…"

Buffy : "Ok. C’est bien que tu aies pu sortir un peu, je… je m’inquiète un peu pour toi…"

Faith : "Moi ça va, ce n’est pas moi qui vis le plus difficile tu sais…"

Buffy : "Vraiment ? J’avais pourtant l’impression que tu vivais à travers elle, que tu souffrais presque autant qu’elle…"

Faith : "Don’t worry, B."

La brune lui adressa un pâle sourire, et s’en alla. Buffy resta immobile, se mordillant la lèvre inférieure d’un air embêté.

Giles : "Buffy ?"

Buffy (sortant de ses songes) : "Hum ? Oh, désolée Giles… Heu, je crois que vous feriez mieux d’y aller… les filles commencent à s’agiter…"

Comme pour illustrer ses dires un bruit de ferraille se fit entendre, suivi de plusieurs coups de klaxons et de cris hystériques.

Giles : "Mais qu’est-ce qui se passe encore ?!"

Dawn les rejoignit.

Dawn : "Les filles se battent pour savoir qui conduira… mais à deux au volant elles n’ont, pour l’instant, réussi qu’à renverser la poubelle… Buffy, si tu pouvais la ramasser d’ailleurs…"

Buffy : "Giles ? Je peux partir avec vous ?"

Dawn : "Très drôle !! Bon, je vais voir si je peux déloger Jed et Iliana du sous-sol… puisqu’ils ont apparemment décidé d’y élire domicile…"

Giles : "Mon dieu… je crois que j’aurais pu oublier Iliana sans toi… Peut-être qu’elle acceptera de conduire, elle est relativement plus mature que… toutes les autres !"

Dawn (ironique): "Mais oui, ne vous en faites pas, Iliana sauve toujours la situation !!"

Dawn partit d’un pas énervé vers le sous-sol.

Giles : "N’y aurait-il pas comme de la tension dans l’air ?"

Buffy : "Je crois que Dawn n’apprécie pas outre mesure que Jed et Iliana passent tout leur temps ensembles… seuls… même si Jed semble toujours aussi amoureux de Dawn… J’aimerais vraiment savoir ce qu’ils fabriquent d’ailleurs ces deux là !!"

Sous-sol de la maison Summers.

Jed et Iliana étaient face à face, à environ un mètre l’un de l’autre, les yeux fermés, faisant des mouvements de yoga lents. Ils brassaient l’air comme pour déplacer des flux d’énergie et respirer profondément. Le silence était total, on sentait que les deux jeunes gens étaient dans une sorte de communion intérieure, qu’ils s’écoutaient respirer et essayaient d’ouvrir leur esprit afin de capter les sensibles variations qu’ils provoquaient sur l’espace environnant avec leurs gestes.

"C’est pas bientôt fini ces simagrées ?!!"

Iliana ouvrit brusquement les yeux, agacée d’être si violemment ramenée au monde réel. Elle posa les yeux sur la personne qui venait de parler… Spike. Assis sur son lit, comme à son habitude. Regarder les gamins dans le silence semblait l’ennuyer particulièrement. Jed soupira.

Jed : "Comment pourrait-on espérer travailler en partageant la même pièce que ce type ?! C’est un vampire en plus ! Ca me dépasse…"

Spike : "L’âme, Jedy, l’âme, garde ça en tête… Et puis de toute façon tout le monde m’adore ici ! Même ta nouvelle amie…"

Iliana pouffa et vint s’asseoir à côté de Spike.

Iliana : "William… je t’ai déjà expliqué mille fois qu’on avait besoin de méditer… C’est important pour Jed… tu sais, l’équilibre des forces…"

Spike : "…de l’univers est essentiel pour l’équilibre psychique… blablabla… J’ai saisi, t’en fais pas… Et, pourrais-tu s’il te plait arrêter de m’appeler William ?!! C’est pas comme si on se connaissait depuis l’origine des temps…"

Iliana : "C’est toi qui m’a dit que tu t’appelais comme ça !! Et puis je continuerai tant que tu ne te décideras pas à nous laisser faire nos mouvements en paix !"

Spike : "Mais c’est toujours la même chose… c’est d’un ennuyeux ! Allez boire une bière, ça vous changera les idées !"

Iliana (levant les yeux au ciel) : "Tu es un cas désespéré… tu devrais être ravi d’être le seul à savoir ce qu’on fait ici…"

Spike : "J’ai pas l’air ravi ? Si au moins je comprenais pourquoi vous faites ça…"

Jed : "Si au moins JE comprenais pourquoi on fait ça…"

Les deux autres le fixèrent sévèrement.

Jed : "Mais je vous en prie, continuez cette passionnante discussion… faites comme si j’étais pas là…"

Iliana : "Spike ? Il est quelle heure ?"

Spike : "L’heure de rejoindre les autres Potentielles, princesse…"

"Et même bien plus que l’heure !"

Les têtes se tournèrent vers la porte menant au sous-sol. Dawn apparut sur le haut des marches.

Dawn : "Tout le monde t’attend, Iliana !"

Iliana : "Oups… j’ai pas vu le temps passer… Bon, ben quand faut y aller…"

Jed : "Je t’accompagne."

Il lança un coup d’œil appuyé à Spike, ne semblant pas du tout apprécier l’amitié de la jeune fille et du vampire. Dawn les laissa remonter et vint s’asseoir à son tour auprès de ce dernier.

Dawn (soupirant): "J’en ai marre…"

Spike : "Qu’est-ce qui t’arrive, microbe ?"

Dawn : "… ça par exemple ! Pourquoi moi c’est microbe et elle princesse ? Tu me connais depuis bien plus longtemps !!"

Spike (surpris): "Tu es jalouse d’Iliana ?"

Dawn : "Ca t’étonne ? Tout le monde la trouve SI parfaite… même moi je n’arrive pas à lui trouver de défauts… elle est pas humaine cette fille c’est pas possible !!"

Spike (songeur) : "Non… pas humaine…"

Dawn : "Quoi ?"

Spike : "Quoi quoi ?"

Dawn : "Tu as dit " pas humaine "… elle l’est pas ?"

Spike : "Je n’en sais rien, globule, j’ai seulement une impression étrange quand je parle avec elle… comme si c’était naturel, comme si je la connaissais depuis toujours… je crois qu’elle fait le même effet à ton petit copain d’ailleurs…"

Dawn : "A Jed ? Qu’est-ce qu’elle fait avec lui ? Tu dois me le dire… je suis ta Dawnie, pas vrai Spike ?"

Spike : "Ils ne font rien qui puisse susciter ta jalousie en tous les cas…"

Dawn : "Mouais… Tu sais quoi ? Je crois qu’elle me fait aussi cet effet bizarre, tu sais, comme si elle avait toujours était là… peut-être que c’est une sorcière…"

Spike : "Peut-être que tu devrais arrêter de te focaliser sur elle. Il va y avoir cette grande bataille, et ensuite tu ne la verras sans doute plus jamais…"

Dawn : "J’espère que si je ne la vois plus ce ne sera pas parce que je suis morte !"

Spike : "Où as-tu vu que je pourrais te laisser mourir un jour ?"

Dawn : "Tu préférerais me défendre ou la défendre ?"

Spike : "A ton avis ? Je ne te laisserai jamais tomber, microbe."

Ils se sourirent.

Dawn : "Je devrais aller récupérer Jed avant qu’il lui prenne l’envie de suivre Iliana dans le désert, non ?"

Spike : "Je ne sais vraiment pas ce que tu trouves à ce garçon…"

Dawn (petit sourire) : "Jaloux !"

Spike : "Moi !? Pas du tout…"

Elle se releva et gravit les marches.

Dawn (avant de sortir) : "Jaloux !!"

Spike : "Je préférais le temps où tu avais un faible pour les vampires !"

Seul un rire cristallin lui répondit. Une gosse ! Sa gosse… il comprenait ce qu’avait ressenti Alex quand Dawn avait décidé de " changer d’amoureux " il n’y a pas si longtemps… N’empêche que ça lui faisait un petit pincement au cœur… foutue âme !! Mais c’était ce Jed aussi, le frère de Faith… tout un programme ! Cette manie qu’avaient les ados de se jeter au cou du premier petit rebelle venu ! C’est que ce type était en pleine puberté, Dieu sait les idées qui pouvaient courir dans sa tête quand il regardait Dawn… Clé ou pas clé, ce n’était qu’une gamine ! Elle était si jeune… une toute petite fille que Spike devait protéger. Il se prit la tête dans les mains.

"Rester dans ce sous-sol commence à me monter à la tête ! Eh, je suis un vampire, j’aime faire souffrir ! [Soupir] Il me faut de l’action, par l’enfer ça devient urgent !!"

Entrée des Summers.

Buffy : "Oui… c’est ça… au revoir Giles !"

Dawn : "A qui tu parles ?"

Buffy (montrant son portable) : "A Giles."

Elle raccrocha.

Dawn : "Mais il est dans la voiture avec les Potentielles… dans la voiture qui est devant la maison !!"

Buffy : "Heu… il voulait être totalement sûr que son portable marchait… je crois qu’il angoisse un peu à cause de ce petit voyage… même si Ily a finalement pris le volant."

Dawn : "Ca va bien se passer…"

Le téléphone de Buffy sonna.

Buffy (faisant une petite grimace désespérée à Dawn) : "Allô ? Giles ! Quelle bonne surprise… Oui, vous êtes parti, j’ai vu… Quoi ? Mais non, Game Boy n’est pas un nom de code bizarroïde…"

Dawn ne put retenir un éclat de rire, et elle monta dans sa chambre, laissant sa sœur se débrouiller avec Giles. A l’étage elle croisa Willow.

Dawn : "Comment va notre blessée ?"

Willow : "Oh, je crois qu’elle s’est vraiment foulée la cheville pendant la patrouille d’hier soir…"

Dawn : "Aïe ! Pauvre Kennedy…"

Willow : "Elle est très déçue de ne pas pouvoir accompagner les autres… enfin, je vais lui préparer du thé pour la réconforter un peu…"

Dawn (souriant malicieusement): "Voyez-vous ça !"

Willow : "Quoi ? Elle ne peut pas descendre toute seule… avec sa cheville…"

Dawn : "Oui, évidemment…"

Willow : "Eh, si vous pouviez éviter les sous-entendus graveleux, jeune demoiselle !"

Dawn : "Je n’ai rien dit ! Après tout, ce n’est que du thé, n’est-ce pas ?"

Willow : "Bien sûr. (Dawn disparut dans sa chambre. Pour elle-même, essayant de se convaincre avec fermeté) Seulement du thé."

Motel de Faith.

Jess était allongée sur le lit du motel où Faith l’avait emmenée plusieurs jours auparavant. Elle fixait le plafond, le regard vide. Elle serrait ses bras avec fébrilité contre sa poitrine. Elle avait froid, et pourtant était en sueur. Elle suivait des yeux une longue fissure serpentant au-dessus d’elle. Une fissure. Comme elle. Ne pas penser. Rejeter le monde au loin. Attendre. Faith allait revenir…

N’en pouvant plus d’attendre, la jeune fille se releva brusquement et chercha quelque chose qui pourrait occuper son esprit. Elle eut une idée. Elle se dirigea alors vers la salle de bain. Oui, un bain, juste un petit bain… Elle entra dans la pièce et fit tourner la clé derrière elle. Elle s’approcha de la baignoire, évitant soigneusement de rencontrer le regard du cadavre qui lui faisait face dans le miroir. Jess fit couler l’eau, de l’eau chaude surtout, ne manquant pas au passage de s’étonner comme à chaque fois de la présence d’une baignoire dans un motel si nase. C’était la première fois qu’elle se retrouvait seule ici. Les choses lui apparaissaient différemment, plus agressives, comme si chaque objet pouvait lui vouloir du mal. Voilà qu’après la dépendance à l’H elle allait se mettre à dépendre de Faith… mais c’était l’histoire de sa vie non ? Depuis Sam… avant, avant elle était si libre…ou plutôt elle croyait l’être.

Jess secoua le cours de ses pensées et regarda un instant l’eau claire couler. Elle se sentait si sale, dedans, dehors… si sale. Elle retira lentement ses vêtements, découvrant sa peau pâle et ses os saillants. Elle suivit du doigt les traces à la saignée de ses bras, de si petits hématomes par lesquels la mort s’était infiltrée en elle. Elle ne regrettait pas, chacune de ces piqûres elle l’avait désirée. Ou presque. Un jeu. Faire l’amour avec Sam, le laisser lui faire la piqûre qui pourrait lui être fatale, et vivre avec lui dans cet état de fièvre et de plénitude aussi totale que factice.

Elle baissa la tête, perdue, et ses longs cheveux bruns vinrent faire de longues traces d’ombre sur son visage. Elle entra dans la baignoire, de laquelle montait une légère vapeur d’eau. C’était chaud, si chaud, si bon… la chaleur mordait sa peau avec violence, mais tant qu’elle la ressentait elle était vivante, n’est-ce pas ?

Elle s’allongea de tout son long sur la surface d’émail immaculé. Ce blanc lui semblait faire tellement contraste avec ce qu’elle était… c’en était presque dérangeant. L’eau montait doucement. Elle ferma les yeux. Elle allait tout simplement attendre Faith ici, oui, tout simplement… Elle relâcha ses muscles contractés, laissant ses pensées, ses souvenirs dériver au fil de l’eau. Ses derniers jours avaient été si pénibles… elle n’aurait jamais pensé qu’elle ferait ça un jour. La désintox, elle la ressentait presque comme une trahison envers Sam. Avant, et cela semblait si loin, avant elle n’aurait jamais songé à toucher à la drogue… Et puis Sam était entré dans sa vie, avec sa gueule d’ange et ses yeux d’antéchrist. Elle avait voulu l’aimer, l’aimer à en mourir, à en crever, tout donner pour lui. Elle aimait tant sa présence, l’impression de complétude qu’il lui apportait, la sécurité… Elle s’était sentie si libre pour la première fois de sa vie, si libre… loin des bas-fonds de New York, loin de la bande, de la violence… Les virées en moto, lancés à toute allure sur l’asphalte, eux deux, rien qu’eux et le vent qui fouettait leurs cheveux… Puis étaient venus la cabane sur la colline, les murs couverts d’images de tous ces types connus morts suicidés… l’encens, la musique trash et… et Sam lui montrant une seringue de sa substance " magique " pour " chasser le dragon "

La confiance aveugle. Et la plongée sans retour. Elle avait cru échapper à la violence, elle n’avait fait qu’en changer… la violence intérieure, celle de Sam, la sienne, mille fois pire. Beaucoup de noir et très peu de lumière. Mais on s’habitue à tout pour l’homme qu’on aime. Aux piqûres, aux démangeaisons qui vous dévorent la peau, aux regards dégoûtés de vos frères de galère… On s’habitue et on prie pour ne jamais revenir à la réalité. Elle qui pensait avant l’H ne pas pouvoir tomber plus bas !

Et à présent… à présent elle était une Potentielle paumée, promise à un destin exceptionnel et pas tellement l’envie de s’en sortir si facilement… Un peu fatiguée de cette vie aussi. Depuis ses 9 ans elle vivait dans la rue, c’était long, très long… et rien à quoi se raccrocher, privée de passé.

Jess rouvrit les yeux, refusant de se laisser aller plus loin à évoquer tout ça. L’eau lui arrivait presque au niveau de la bouche et des yeux. Elle était prise dans l’étau brûlant, ne sentant plus son corps, comme engourdie. Elle releva la tête et contempla ses membres qui semblaient dériver au fil de l’eau, s’en aller loin, très loin, comme si seule son âme restait… elle en eut presque le vertige. Elle se dit confusément qu’elle devait arrêter l’eau ou sortir de la baignoire, mais elle s’en sentait incapable, ses muscles refusaient de répondre aux appels de son cerveau, et de toute façon la plupart des connexions nerveuses avaient dû être détruites il y a longtemps par l’héro, songea-t-elle comme une excuse. Et elle était si bien ici, si en paix, loin des agressions que son corps avait subi ses derniers jours… Vomir le poison, l’expulser par la sueur puante, se tordre de douleur sous les crampes insupportables, sentir ses membres convulser de façon incontrôlable quand les médicaments de substitution dont Faith la bourrait venaient à manquer… et cette impression folle que des milliers de fourmis venaient lui dévorer la chair… Vivre dans du coton, avoir la tête prête à l’implosion, perdre le sens des réalités, la notion du temps… Et le pire était qu’elle connaissait des tas de gens qui avaient replongé même après avoir enduré tout ça… Elle-même ne savait pas si elle serait assez forte pour lutter.

Le manque, elle le ressentait à chaque instant, le manque cruel, le besoin vital… Sentir l’H dans ses veines, guérir ses maux, apaiser ses craintes, rendre sa vie plus belle et claire… Mais Faith avait tout balancé, évidemment. Et pour retrouver un revendeur ici… elle ne connaissait rien à cette ville, mais elle devinait que les démons y étaient sans doute plus nombreux que les dealers…

L’eau recouvrit doucement son visage. Elle regarda le monde devenir flou. Elle sentait l’air qui restait dans ses poumons… si froid dans cette eau si chaude. C’était curieux d’être ainsi sous l’eau, comme dans un caisson de désensorisation… elle n’était plus, son corps flottait, son esprit dérivait. Pas de peur, plus de réalité, un peu la même sensation qu’avec l’héro finalement… elle comprenait mieux l’ivresse des grandes profondeurs !

Devant ses yeux vinrent tout à coup flotter des images… des images venues de loin, de très loin, du confins même de son inconscient. Images refoulées, oubliées, perdues… Un bus scolaire jaune. Un petit garçon qui courait vers lui. Il se retournait et faisait un signe de la main. Elle le voyait à travers une vitre, elle collait sa main contre le carreaux. Elle suivait des yeux le bus qui emmenait l’enfant jusqu’à ce qu’il disparaisse au coin de la rue. Ensuite, seul un sentiment de panique totale subsistait, cette sensation affreuse qu’elle allait souffrir si elle se retournait vers l’intérieur de la maison…

Jess se redressa brusquement dans la baignoire, reprenant son souffle, les poumons en feu. Elle éteignit en tremblant l’eau qui bouillonnait. Elle passa ses mains sur son visage et déglutit péniblement. Ces images… Une larme isolée roula le long de sa joue et alla se confondre à l’eau douce dans laquelle elle baignait. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait plus ressenti d’émotions vraies, la drogue travestit tout.

La peur l’étreignit, si fort, une peur irraisonnée… Elle n’aurait jamais dû abandonner l’H, seule elle parvenait à l’aider à reconstituer ces images révolues d’une enfance qui la fuyait. Et puis pourquoi Faith était-elle partie ? La laissant seule… Si seule avec cette angoisse qui lui broyait le cœur… rien à faire, nulle part où échapper au flot de ses pensées…

Un tremblement naquit tout au fond d’elle, puis enfla pour se transformer en une sensation de profond vide intérieur. En même temps, sa conscience lui sembla se rétrécir jusqu’à ce qu’elle perçoive son corps comme une coquille vide dans laquelle sa conscience n’était plus qu’un petit être enfermé, pris au piège, à la frontière avec le néant, prête à sombrer dans un gouffre intérieur duquel elle ne pourrait plus jamais ressortir. Cette sensation, elle la nommait la zone, une vieille ennemie qui la hantait depuis toujours. Mais elle avait beau la connaître par cœur, la zone la terrifiait toujours autant. Elle savait que si elle ne lui résistait pas elle finirait par perdre toute maîtrise, or tout résidait dans la maîtrise. Si elle ne la combattait pas, elle pourrait perdre des blocs entiers de temps, ou quoi ? Mourir ? Sa seule certitude était qu’il fallait surtout ne pas la laisser la recouvrir, même si la zone semblait un endroit attirant où se réfugier parfois. Toutes ces pensées la faisaient trembler.

Svp, non… non, pas maintenant… svp…

Elle entendait ses propres supplications pleurnichardes résonner dans sa tête, ce qui n’empêchait bien sûr pas la zone d’approcher… Et elle ne savait même pas à qui s’adressait ses prières… à elle-même peut-être ?

Sa conscience se rapetissait de plus en plus à l’intérieur de la coquille de son corps. La zone était une chape d’ombre, de noir absolu, qui allait l’engloutir, la faire tomber dans un puits sans fond… Pour combattre la zone, l’héro s’était montrée une puissante alliée. Seulement ici, pas d’H. Elle commença à paniquer. Elle se pinça violemment la cuisse, enfonçant ses ongles dans sa peau. Pourtant la zone continuait de la happer.

Faith, reviens stp… ne me laisse pas… pas toute seule… Faith !

Il fallait absolument qu’elle trouve un moyen de faire reculer la zone… avant que… et elle ne pouvait rien dire à personne, sinon ils croiraient tous qu’elle était dingue.

"Tu sais ce que tu as à faire, Jessie, n’est-ce pas ?"

La Voix se déploya dans sa tête comme un ruban noir. Elle frissonna. La Voix s’était montrée impérieuse, presque agacée. La Voix savait toujours quoi faire, comment lutter contre la zone. La Voix était une projection de son inconscient, un autre elle-même, plus cruel, mais qui avait le bénéfice de n’avoir peur de rien. Une barrière entre elle et le monde. La Voix était ce qui restait quand son âme reculait de frayeur, elle la protégeait à sa manière, la guidait… mais vers quoi ? La Voix alimentait la peur, la peur se nourrissait de la Voix, cercle infernal dont elle était le cœur brûlant… à en perdre la raison.

Elle se boucha les oreilles, comme si elle avait pu forcer la Voix qui résonnait en écho à l’intérieur d’elle-même à se taire. Son passé remontait à la surface contre sa volonté, comme un mauvais film tout de noir et de blanc, les émotions revenaient, intenses et douloureuses… La haine et l’amour, la colère violente, le désir ardent. La haine et l’amour, la haine et l’amour, la hainamour, tout en un seul mot chez elle. Des sentiments si entremêlés qu’ils étaient indissociables, comme les membres enchevêtrés de deux bêtes qui s’attaquent.

La peur enfla un peu plus, la Zone se rapprochait, comme un zoom.

"Tu as toujours peur, hein petite garce ? Pourquoi tu n’écoutes pas ? Tu sais quoi faire, tu sais la combattre !"

Malgré la peur et le dénuement, elle tenta de calmer les battements de son cœur et de réfléchir. Elle savait ce qu’elle devait faire, oui… comme avant l’héro… Elle aurait tellement voulu être à des milles de là… Elle repéra une vieille trousse de toilette en toile qui traînait près de la baignoire. Ses mains tremblaient quand elle s’en empara. Elle la fouilla avec fièvre et précipitation, elle sentait le noir se faire en elle. La buée qui montait de l’eau bouillante dans laquelle elle était toujours recouvrait tout, brouillant sa vue, à moins que ce ne soit ses larmes… Elle étouffait, il n’y avait pas d’air dans cette foutue pièce ! Les murs se refermaient sur elle. Elle trouva enfin ce qu’elle cherchait. Un vieux rasoir. La lame émoussée. Coupante. Parfait. Elle hésita le temps d’un battement de cil, ce qui permit à la Voix de se déchaîner.

"Fais-le, fais-le, petite salope, stupide, idiote gamine… Tu ne veux pas être seule, pas vrai ? Prouve que tu n’es pas lâche !"

Elle avisa les veines à la saignée de ses bras, mais celles-ci étaient devenues bien trop dures à force d’être piquées. Elle choisit donc un autre endroit, un peu en dessous du poignet, là où la peau était tendre. Elle prit une inspiration brève et entailla sa peau blanche d’un coup. La douleur fut aiguë et douce, et parut court-circuiter la panique qui lui avait électrisé le cerveau. Le sang fleurit sur la coupure, une perle luisante et noire qui glissa lentement. Soulagement immédiat. Elle put à nouveau respirer, réfléchir. Elle regarda fixement, comme hypnotisée, le ruban écarlate qui s’écoulait de son poignet et glissait le long de l’ivoire blanc de la baignoire. Beau comme le sang des oies sauvages sur la neige. Le calme coulait doucement en elle. Maîtrise. La vie était affaire de maîtrise. Douleur et maîtrise, une leçon qu’elle avait apprise depuis longtemps.

Une part, tout au fond d’elle-même, avait envie de pleurer, mais elle la repoussa au loin. Elle passa son pouce le long de la coupure et le porta à sa bouche, c’était bon, un goût familier… Elle se souvenait même d’une fois où, crevant de faim et de soif, elle avait bu son propre sang pour tenir le coup. Une saveur incomparable et un arrière goût d’abomination.

Elle regarda le sang se mêler à l’eau du bain, en spirales curieuses, en nuages aux circonlocutions complexes, en brumes de désir. Elle éprouvait une sorte de libération, presque sexuelle. Elle avait vaincu le démon, l’avait réduit à néant. Elle était la plus forte, comme toujours.

Elle ne comprit que trop tard que quelque chose clochait, quand l’eau vira au rose gentiane, que ses genoux flageolèrent un peu trop fort et que sa tête lui tourna un peu trop… L’eau chaude avait rendu sa peau fragile, et la lame avait déchiré ses veines comme des pétales de rose… et maintenant le sang coulait à flot et elle ne pouvait plus l’arrêter…

Oh non… non… je ne voulais pas ça… c’était juste la Zone que je devais chasser… Noon…

L’eau devint rouge, un rouge de plus en plus profond. Jess tenta d’arrêter l’hémorragie avec sa main, mais le sang glissait entre ses doigts. Elle essaya de sortir de la baignoire et s’écroula de tout son long sur le carrelage froid, éclaboussant de gouttelettes rouges le joli sol noir et blanc. Son cerveau était envahi de coton. Elle entendit alors la porte de la chambre s’ouvrir et quelqu’un entrer.

"Jess ? Jess !? T’es là ?"

Faith.

La jeune fille ouvrit la bouche et tenta de crier à l’aide. Un filet de voix sortit de sa gorge, mais le bruit assourdissant de son cœur qui battait contre ses tempes lui sembla couvrir son cri. Elle compressait désespérément son poignet avec sa main, alors qu’une tâche grenat s’élargissait près d’elle.

"Tu es dans la salle de bain ? Laisse-moi un peu d’eau chaude, hein !"

Faith… aide-moi… Faith…

Elle se sentait partir… Elle ne maîtrisait plus son corps, c’était étrange parce que son esprit était bien présent lui et refusait de partir… Ca n’était pas comme dans les livres, comme les beaux suicides tellement apaisants… C’était horrible et flippant, elle se sentait mourir et ne pouvait rien faire, pas lutter, pas revenir en arrière… tout ça à cause de la Zone et de sa folie… Putain, la vie faisait vraiment chier parfois !

Elle percevait vaguement des coups sur la porte et la voix de Faith parvenait déformée à ses oreilles. Elle avait toujours voulu plus ou moins quitter cet enfer, elle n’avait jamais tenu à la vie, mais on meurt au combat, on meurt en héros ou on ne meurt pas. Elle haïssait le suicide, lâche et dégradant… aucun paradis, aucun enfer ensuite, juste le néant… les gosses de la rue n’ont pas de Dieu, la misère ne connaît pas de messie. Elle aurait voulu une belle fin ou une fin avec Sam au moins… mourir d’une overdose n’aurait pas été horrible non plus, au moins elle aurait su pourquoi elle crevait.

Mais pas comme ça… pas saignée comme une vulgaire pièce de viande, pas alors que j’avais une chance… C’était… ma… chance...

Elle ferma les yeux. Des papillons dansaient dans sa tête, des papillons funestes. Elle perdit connaissance au moment où elle entendit la porte de la salle de bain se fracasser, et que Faith entrait…

Sauvée ?

Suite PARTIE 2