TITRE : Murs Intérieurs
AUTEUR : Elegy
FEEDBACK : elegy1@voila.fr
RATING : NC-17 (pour quelques scènes de violence physique et verbale et quelques scènes de sexe).
DISCLAIMER : Faith, Buffy et tous les autres personnages appartiennent à Joss Whedon, WB, etc.
SPOILERS : L'histoire se situe après "Sanctuary". Première saison d'Angel et quatrième saison de BTVS.
NOTE : Pensées de Faith en italique.
RESUME : Faith va en prison après ses aveux.

ACTE 1   ACTE 2   ACTE 3   ACTE 4   ACTE 5

ACTE I : Les ténèbres

"Je voudrais faire des aveux."

Le glas avait sonné, Faith ne pouvait plus reculer. Dans les yeux de l'inspectrice Lockley, elle avait cru déceler une légère déception. Dans ceux de Buffy, la satisfaction...

Regarde-moi, B, regarde-moi. Je l'ai fait pour toi...

Ou s'était-elle finalement dénoncée pour se protéger d'elle-même, de ce qu'elle était capable de faire ? Elle avait perdu le contrôle, complètement, totalement, désespérément. Et le plus dur à supporter était qu'elle avait ressenti un plaisir immense et terrifiant à se laisser aller ainsi, à franchir à nouveau les barrières de sa conscience, à plonger dans les ténèbres de son esprit torturé.
Les choses s'étaient ensuite enchaînées très vite. D'abord l'interrogatoire long et laborieux, pour essayer de justifier rationnellement une erreur fatale dans un cadre irrationnel. L'inspectrice n'avait pas eu l'air étonné pourtant. Mais comment un jury pourrait-il adhérer à sa version, comment pourrait-il accepter qu'elle ait tué Allan Finch parce qu'elle avait cru que c'était un vampire ?

Pourquoi ne m'as-tu pas retenue ?

Elle serait condamnée à une très longue peine, peut-être la peine de mort. Cela n'avait plus vraiment d'importance maintenant.

Je suis déjà morte.

Après les heures légales de garde à vue, on l'avait transférée dans un fourgon inconfortable à la prison de Los Angeles. Elle n'avait plus revu ni Angel ni Buffy.
Pendant que les policiers la faisaient descendre du fourgon, elle contempla les murs immenses et sombres qui l'attendaient avec indifférence. Elle regarda les multiples fenêtres munies de barreaux, les barbelés tout en haut du bâtiment, les murs gris et sales.
Quand Faith franchit enfin les lourdes portes de la prison escortée solidement par les policiers, un sentiment de panique s'empara d'elle. Alors que les deux hommes la forçaient à avancer, elle tourna sa tête de l'autre côté, derrière elle, vers ce qu'elle laissait, comme si elle voulait garder l'image de la liberté, comme si elle espérait apercevoir quelqu'un, quelqu'un qui aurait tenu à elle.

B...

Mais il n'y avait personne. Rien que le vide. Et la nuit.

Faith traversa des couloirs, franchit des grilles qu'on refermait soigneusement derrière elle. Elle dut se déshabiller, enfiler des vêtements informes qui portait le nom de la prison, et un numéro. Son numéro. Dernier stade symbolique de sa déchéance, de la perte de sa personnalité. Elle n'avait plus de nom, elle n'était plus rien, juste un numéro.
On la conduisit ensuite vers sa cellule. Elle traversa de nouveaux couloirs, franchit de nouvelles portes sous le regard pesant des autres détenues se délectant de son arrivée comme l'unique distraction dans un monde où seule la routine mécanique vous permet de ne pas trop penser. Elle essuya quelques remarques obscènes, ignorant les menaces et les invitations, le regard vide fixé sur le bout du couloir immense, jusqu'à sa cellule.

"Tiens, Jessy, t'as de la compagnie !", lança la gardienne d'un air goguenard en ouvrant la grille de la cellule.

"Putain, non !", s'exclama la femme avachie sur le lit.

Faith enregistra le bruit des clés derrière elle qui fermaient la grille, qui l'enfermaient irrémédiablement, lui faisant prendre soudain conscience de la réalité. La panique l'envahit à nouveau, lui tordant les entrailles. Elle essaya de se concentrer sur autre chose. Faith tourna son regard vers sa compagne de cellule. Probablement d'origine hispanique, elle était plutôt jolie, brune, les cheveux courts et arborait d'impressionnants tatouages tribaux sur les bras.

"Tu regardes quoi, là ?!", cracha-t-elle, le regard plein d'animosité.

Je regarde ta jolie gueule que je vais exploser contre le mur...

"Rien.", répondit Faith en détournant son regard.

Elle s'absorba dans la contemplation de la cellule. Minuscule, austère, sale, les murs couverts de graffitis, suintant l'humidité, les deux lits superposés, le petit lavabo à côté des toilettes, une étagère, une fenêtre, des barreaux... Le vide...

"Eh ! Je te parle, pétasse ! T'as pas à me regarder comme ça !"

Jessy s'était levée et s'avançait d'un air menaçant vers Faith, toujours immobile au milieu de la cellule, le regard perdu dans le vague.

Je regarde ta jolie gueule que je vais exploser contre le mur...

L'image du visage ensanglanté de Jessy apparut comme un flash dans l'esprit de Faith. Elle se vit la tenir par les cheveux et lui écraser le visage contre le mur, plusieurs fois, sans un mot, avec juste cette folie meurtrière dans les yeux, cette folie qui la poursuivait, et le vide...

Je regarde ta jolie gueule que je vais exploser contre le mur...

Jessy se tenait devant Faith. Au moment où elle leva le poing pour frapper la Tueuse, celle-ci la regarda enfin, et son mouvement se figea. Jessy n'avait jamais vu un tel regard. Un frisson glacial parcourut son échine. Elle vit la folie, la haine dans ces yeux bruns qui semblaient perdus auparavant, inoffensifs. Une violence incommensurable émanait de cette femme silencieuse qui était venue perturber son quotidien millimétré. Elle n'avait soudainement plus envie de poursuivre son geste, elle sentait qu'elle le regretterait.
Faith n'avait pas cillé. Ses yeux avaient harponné ceux de l'autre femme, la défiant, la dominant, mais son esprit était ailleurs. Il avait traversé ce visage - Je regarde ta jolie gueule que je vais exploser contre le mur... - pour se fixer loin... dans le vide...

Jessy recula d'un pas et affronta le regard terrifiant, essayant de ne pas montrer le trouble qu'elle ressentait. Elles restèrent silencieuses un moment en se jaugeant.

"C'est quoi ton nom ?", demanda finalement Jessy, brisant le silence devenu pesant.

"Faith."

"Moi, c'est Jessy. Bon, tu prends le lit du haut. Et bienvenue en enfer."

Faith n'avait pas dormi de la nuit. Elle ressassait les mêmes pensées, revoyait le même visage, la haine, puis la satisfaction qui avaient transparu dans ces yeux verts qui la hantaient.
Faith ne réalisa vraiment qu'elle était en prison que lorsque les angoisses nocturnes des autres détenues résonnèrent dans les longs couloirs vides. Sans cesse du bruit, des pleurs à demi-étouffés, des cris, des injures qui venaient rompre ses réflexions et la renvoyaient à son désespoir.
Au matin, une gardienne vint ouvrir la grille en prenant un malin plaisir à faire courir sa matraque le long des barreaux pour réveiller les quelques prisonnières qui auraient pu dormir.
Jessy se leva en maugréant.

"Bouge ton cul, c'est le petit-déj', faut pas arriver les dernières."

Faith descendit du lit et suivit Jessy dans le couloir. Elle vit des centaines de clones, des femmes comme elle, vêtues de combinaisons oranges, arborant leurs numéros, sortir de leur cellule et se diriger vers le réfectoire d'un pas lourd. Elle vit les dizaines de cellules alignées les unes à côté des autres, sur plusieurs étages, comme une immense fourmilière labyrinthique.

"Je te préviens, tu te démerdes Faith, je ne jouerai pas ta protectrice."

Elles arrivèrent dans le réfectoire où étaient disposées de longues tables. Beaucoup de détenues étaient déjà installées et Faith sentit les regards se poser sur elle. Ses sens aiguisés de Tueuse lui permirent d'entendre les questions et les remarques salaces qui fusaient à chaque table. Préférant les ignorer pour ne pas laisser place à la colère aveugle, elle prit son plateau et entreprit de s'asseoir à côté de Jessy.

"Tu fais quoi, là ?"

Je te plante ce couteau dans le ventre...

"Je m'assois."

Les autres femmes de la tablée observaient la scène avec attention, un sourire sur les lèvres.

"Non, mais tu rêves, beauté, tu dégages de là, c'est ma table et je t'ai pas invitée !", lança Jessy bien fort pour que tout le monde puisse témoigner de l'inaltérabilité de son statut de caïd.

Faith la regarda en silence, son plateau dans les mains. Les femmes s'esclaffaient, se moquant de cette nouvelle si fragile qui se ferait bientôt dévorer par la meute impitoyable qui gouvernait le monde souterrain de la prison.

Je te plante ce couteau dans le ventre...

Faith jeta un œil alentour et repéra une table isolée où deux femmes seulement mangeaient. Elle s'y dirigea lentement, se concentrant sur chacun de ses pas, laissant refluer en elle la colère sourde qui montait, une colère à laquelle il était si tentant de se laisser aller à nouveau pour se noyer dans son néant et ne plus avoir à réfléchir.

Je te plante ce couteau dans le ventre... Je regarde ta jolie gueule que je vais exploser contre le mur...

Elle s'assit à bonne distance des deux autres femmes et commença à manger la bouillie infâme qu'on daignait leur servir.
La femme assise à sa gauche la regardait avec un air outragé. Elle tendit un bras vers le plateau de Faith et lui arracha son assiette.

"Chuis sûre que t'en veux plus, donne-le moi."

Faith se tourna vers la femme et d'un geste vif récupéra son assiette. Le rire de contentement s'étrangla de surprise. La femme, prénommée Trisha, se leva alors, révélant son corps musclé et imposant. Elle s'approcha lentement de Faith, puis se pencha légèrement sur elle de manière à lui parler dans l'oreille, ses deux mains noueuses posées sur la table de part et d'autre de la Tueuse brune. Faith sentait le corps lourd dans son dos et le souffle chaud près de son visage.

"Ecoute, petite conne, je crois que tu n'as pas bien compris comment ça marche ici...", lui souffla Trisha à voix basse. "Ici, les petites nouvelles obéissent à nos lois, et si je veux que tu me donnes ton repas, tu vas me le donner sagement, comme tout ce qui pourrait m'intéresser d'ailleurs..."

Je te plante ce couteau dans le ventre...

"... Tu es à moi, puisque tu as choisi de t'asseoir à ma table, et tu dois suivre les règles sinon on te brisera, on te cassera, jusqu'à ce que tu reviennes pleurer en rampant pour nous prier de t'autoriser à nous lécher les bottes..."

Je regarde ta jolie gueule que je vais exploser contre le mur...

"...Tu n'es rien ici, rien que nous ne décidions que tu sois... "

... plante ce couteau...

"...Tu n'es plus la petite pimbêche de Sunnydale, tu n'es plus qu'une merde..."

... plante ce couteau...

"...que nous écraserons de gré ou de force jusqu'aaaaaaaahhhhhhhhhh!!!!!!!!!"

La phrase de Trisha se transforma en un long cri douloureux alors que sa main droite venait d'être transpercée par une fourchette dans un mouvement si vif que personne n'aurait pu dire que Faith en était l'auteur si elle n'avait pas gardé sa main sur le manche. Elle resta impassible, observant le sang qui perlait doucement de la plaie, le regard vide. Le silence s'était fait dans le réfectoire, on n'entendait plus que les cris de Trisha qui se cramponnait à la main de Faith et tentait vainement de lui faire lâcher la fourchette. Le temps s'était comme suspendu, personne ne bougeait plus, les surveillants semblaient avoir disparu.

Je vais t'arracher la langue pour que tu cesses de crier...

Dans un même mouvement, Faith retira la fourchette et donna un violent coup de tête en arrière en se relevant brusquement, brisant le nez de Trisha qui s'effondra sur le sol.
Trois surveillants surgirent alors et se saisirent de Faith qui ne résista pas et se laissa emmener en cellule d'isolement. Elle fut jetée sans ménagement à l'intérieur.
Et là vint la douleur. Les coups de matraque s'abattirent sans discontinuer pendant cinq longues minutes pendant lesquelles l'esprit de Faith avait enfin repris conscience. Elle n'essaya pas de se défendre ou de se protéger, la douleur la ramenait à la vie réelle, elle lui permettrait de se concentrer sur autre chose que son désespoir.
Les surveillants la laissèrent enfin dans l'obscurité et la solitude de cette pièce minuscule et étouffante, sans fenêtre, qui servait à punir les prisonnières récalcitrantes. Faith sentait encore la chaleur des coups sur son corps meurtri, une chaleur presque réconfortante, presque familière, comme après un combat difficile contre un vampire.

Je vais te planter ce pieu et tu disparaîtras en poussière...

Allongée sur le sol froid de sa cellule, elle ramena ses genoux contre elle et se recroquevilla. Puis elle perdit conscience et ce ne fut plus que le vide.

Faith resta trois jours en isolement. Elle se réveilla pendant la nuit du premier jour, le corps douloureux, le visage tuméfié. Mais elle savait que sa condition de Tueuse lui permettrait de s'en remettre rapidement. Un médecin était passé plusieurs fois et lui avait fait avaler des cachets. Elle sentait que son esprit était brumeux, ses pensées de plus en plus confuses.

Les foutus cachets...

Mais son envie de violence avait diminué, elle se sentait plus calme. Peut-être était-ce aussi dû à l'obscurité dans laquelle elle était plongée ou à l'absence totale de bruits, de ces cris d'angoisse qui se répercutaient de cellule en cellule.

Peut-être que je suis morte... Peut-être que Buffy m'a planté ce couteau - mon couteau - dans le ventre et que je suis toujours dans le coma... Peut-être qu'elle a réussi, qu'elle m'a poussée du toit quand l'hélicoptère est arrivé...

Elle revit l'image de Buffy sur le toit avec elle quand elles avaient fui les hommes du Conseil.

J'avais cru que tu me pardonnerais... J'avais cru que tu comprendrais... Que tu me laisserais une deuxième chance...

La haine dans son regard, la détermination, la rancœur.

La satisfaction...

Elle regrettait l'aveuglement de l'autre Tueuse, qui n'avait jamais vraiment écouté ce que Faith avait désespérément essayé de lui faire comprendre dans leurs moments de complicité, pendant leurs patrouilles en commun ou au Bronze. Elles avaient été très proches pourtant, presqu'en symbiose dans les combats, dans la danse... Faith avait senti que Buffy n'était pas indifférente, elle sentait toujours l'effet qu'elle produisait sur les autres... Le désir... Elle l'avait vu dans ces yeux qu'elle aimait tant, dans ces yeux qui se refusaient à soutenir son propre regard, lourd de promesses nocturnes et ambiguës, lourd de remises en question. Ces yeux qui s'étaient détournés de son regard finalement trop lourd de conséquences. Mais Faith s'était presque résolue à se contenter de l'amitié de la Tueuse blonde, une amitié qui lui était offerte véritablement pour la première fois... Jusqu'à ce qu'un imbécile vienne se jeter sur son pieu au détour d'une rue.

Pourquoi ne m'as-tu pas retenue ?

Jusqu'à ce que Faith tue Allan Finch et que Buffy la trahisse.
L'image du pieu planté dans le cœur de l'adjoint apparut alors dans son esprit, le sang humain qui coulait sur sa main, le regard d'incompréhension de l'homme qui avait voulu les prévenir, la panique dans celui de Buffy. Le flou dans sa tête. La fuite. Le déni.

Tu m'as laissée tomber... Tu ne m'as jamais soutenue... Tu m'as accusée... Tu n'as jamais voulu croire que ça aurait pu t'arriver... Tu t'es toujours cru si forte... Toi, l'élue numéro un, l'invincible Buffy, irréprochable et toujours honnête... Tu t'es servie de Finch pour te justifier, pour t'éloigner de moi, pour ne pas affronter ce que tu ressentais pour moi... C'était tellement plus facile...

La panique, le désespoir lui avait fait perdre la tête. Acculée, Faith avait attaqué pour se défendre, devançant Buffy et l'accusant du meurtre.

Je ne l'ai pas voulu... Mais tu m'as trahie... Laissée tomber... Ça aurait pu t'arriver et c'est pour ça que tu as paniqué... On aurait pu s'en sortir ensemble... On aurait pu... Tu n'as jamais voulu accepter le fait que c'était un accident... Il te fallait laver tes mains, ta culpabilité, ta responsabilité... Heureusement, la méchante tueuse, la remplaçante était là pour porter le chapeau... C'était tellement facile pour toi... Et tout le monde te croirait... Personne n'a jamais cru en moi... pas même toi... Pas même moi.

La suite n'était qu'un flot ininterrompu d'erreurs, un chemin d'autodestruction qu'avait suivi la "Tueuse renégate", la "folle psychopathe" comme on aimait à l'appeler parmi ses anciens "amis". La partie la plus sombre d'elle-même avait pris possession de son esprit et elle n'était plus parvenue à refaire émerger celle que Buffy avait connue et appréciée avant le meurtre. Celle qui avait aimé la Tueuse blonde. Celle qui la faisait rire ou simplement sourire. Celle qui aimait la vie et ses plaisirs.

Mais tu m'as trahie... Et tu m'as tuée sur ce foutu toit pour rien, pour...

La porte de la cellule s'ouvrit, interrompant ses pensées. La lumière était trop forte pour les yeux de Faith, enfermée depuis trois jours dans l'obscurité. Elle détourna la tête, prise d'un vertige. Elle se rendit compte qu'elle n'était pas capable de savoir à quel moment elle avait été vraiment consciente, si elle avait rêvé ses pensées, ou si elle avait dormi trois jours, assommée par les cachets. Elle avait presque oublié où elle était, perdue dans le vide de l'obscurité de cette cellule silencieuse.

La lumière... Le coma... Je suis réveillée...

"Allez, bouge-toi, sors de là !"

L'ombre dans l'encadrement de la porte ne lui évoquait rien.

Ces connards du Conseil m'ont enfermée...

Ses yeux s'habituant enfin à la lumière, elle reconnut l'uniforme, puis l'un des gardiens qui l'avaient frappée.

La prison...

Elle se leva péniblement, le corps engourdi, et suivit l'homme dans le couloir. Les paroles de Jessy lui revinrent alors à l'esprit.

Bienvenue en enfer.

Suite ACTE 2 : Le vide